Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement, a reçu Altares dans son cabinet d’avocats pour partager avec nous sa vision de la RSE, de l’ESG, et ses préconisations en matière de responsabilité environnementale et sociale.
Mme Lepage, pouvez-vous nous présenter votre cabinet ?
L’histoire du cabinet Huglo-Lepage commence en 1978, par une association entre Christian Huglo et moi-même. Nous sommes un cabinet de droit public, avec également des avocats spécialisés en droit privé orienté sur le droit public global et le droit de l’environnement au sens large du terme, c’est-à-dire le droit de l’énergie, des transports, de la santé, de l’alimentation, etc. Notre particularité est d’être une société à mission, depuis 2 ans maintenant. Nous avons été parmi les deux premiers cabinets d’avocats à obtenir cette qualification, et à effectuer un travail doctrinal très important en parallèle de notre travail d’avocats et de conseil, avec une grande part donnée à l’innovation juridique qui a toujours été une marque de fabrique.
La RSE est-elle devenue une préoccupation importante ?
Le sujet de la RSE est un enjeu majeur et les entreprises s’en rendent compte à l’heure actuelle. Cela fait longtemps que les entreprises mettent en place des actions de RSE, mais pendant très longtemps, c’était du green washing, c’était la direction communication qui s’occupait de la RSE. Aujourd’hui, sont impliqués a minima la direction de la stratégie et généralement le comité exécutif. Pourquoi quelle raison ? Parce que les questions liées à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises sont au cœur de la stratégie de l’entreprise. Si elles ne s’en préoccupent pas, outre l’obligation désormais légale, c’est aussi la pérennité de leur marché qui est en jeu. Il s’agit donc d’un impératif pour toutes les entreprises et elles le comprennent, à une vitesse qui n’est pas la même pour toutes.
Y-a-t-il une différence entre ESG et RSE ?
L’ESG et la RSE recouvrent des domaines qui se recoupent, mais ce n’est pas totalement la même chose. L’ESG couvre davantage le secteur financier, et la RSE le secteur économique global. Mais, tout le monde va finalement se retrouver autour de la CSRD et de l’IFRS qui sont les normes applicables, et le devoir de vigilance.
Les entreprises françaises sont-elles performantes en matière de RSE/ESG ?
Je pense qu’en France, sur les trois lettres Environnement, Social et Gouvernance, c’est incontestablement l’angle environnement qui s’est le plus développé. Ensuite, je dirais l’angle social, et la gouvernance vient seulement après. L’angle environnemental implique beaucoup de contraintes juridiques à mettre en place, avec les différentes lois qui ont été votées. Par ailleurs, la France est bien avancée dans le domaine social, de par sa tradition de droit social largement développée, avec l’égalité hommes – femmes, la lutte contre la discrimination, les droits des humains… Tout cela était déjà présent dans notre corpus, mais les questions de gouvernance sont un peu plus difficiles car la France est un pays de tradition régalienne qui accorde beaucoup d’importance à la gouvernance de l’Etat dans l’intérêt général, et cela se retrouve dans les entreprises.
Est-il difficile de mettre en place une démarche RSE ?
Les principales difficultés pour mettre en place une RSE est de disposer de critères fiables et pertinents. Certains bilans carbone sont par exemple discutés, avec la prise en compte ou non du scope 3 (toutes les émissions de gaz à effet de serre indirectes qui ne relèvent pas du scope 2). La prise en compte de la biodiversité arrive avec beaucoup de retard et avec des difficultés à définir des critères de mesure, même si l’IFRS (International Financial Reporting Standards) définit des critères de biodiversité. Quant à la santé, sa prise en considération reste encore très pauvre. Pour le moment, elle n’est pas vraiment dans le scope, et est à cheval sur le social et l’ environnemental, mais je pense que ce sujet va se développer.
Le corporate en particulier rencontre des difficultés sur la RSE, avec une mise en application approximative, qui nécessite des éléments plus précis comme par exemple les bilans carbone. Il n’est pas simple de définir des critères d’évaluation, il faut être bien conseillé, et parvenir à établir un lien avec la question de la vigilance.
Et pour l’ESG ?
Pour l’ESG, une des grandes difficultés que je constate en travaillant avec des fonds d’investissement, c’est le choix entre article 8 (déclarer la prise en compte de critères sociaux et/ou environnementaux) et article 9 (présenter un objectif d’investissement durable, contribuant à un objectif environnemental ou social, sans causer de préjudice significatif à d’autres objectifs environnementaux ou sociaux) de la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui ambitionne d’harmoniser et renforcer les obligations de transparence des produits financiers. L’article 9 est extrêmement exigeant, et certaines entreprises qui l’avaient choisi sont finalement opté pour l’article 8.
Quid du devoir de vigilance ?
Le devoir de vigilance est avant tout une question juridique. C’est la capacité pour les organisations de démontrer qu’elles veillent à ce que toutes leurs responsabilités sur un plan social et environnemental sont prises.
Il existe des ponts entre la RSE et le devoir de vigilance. Jusqu’à présent, le devoir de vigilance s’appliquait aux grandes entreprises avec une percolation sur leur chaîne de valeur. Dès 2024, il s’appliquera aux entreprises européennes de plus de 250 salariés et 50 millions de chiffre d’affaires.
Donc tout ce qu’une entreprise a mis en œuvre pour sa RSE est utile pour son devoir de vigilance, et vice-versa.
Et pour les impacts issus de la chaîne de valeur de l’entreprise ?
Je pense qu’il y a une grande prise de conscience de l’intérêt d’évaluer sa chaîne de valeur. La direction achats par exemple est concernée pour la partie amont. Mais il y a aussi toute la réflexion autour des actifs échoués (investissements qui perdent de leur valeur en raison de l’impact de changements liés à la transition énergétique). Ce sujet, assez nouveau, prend de plus en plus d’importance, et préoccupe énormément les entreprises qui sont investies dans les domaines où il pourrait exister des actifs échoués, ce qui implique une perte de valeur considérable et donc un intérêt de la part des financiers.